Benoit Godiard est professeur agrégé de sciences médico-sociales et ancien cadre du secteur médico-social.
Pouvez vous nous présenter votre parcours et vos fonctions ?
Benoît Godiard : Initialement issu d’un cursus en physiopathologie (Université de Montpellier), je me suis réorienté dans le secteur gérontologique et la gestion des structures médico-sociales (Master professionnel obtenu au CESEGH en économie et gestion de la santé en 2010). Titulaire d’un CAPET et d’une Agrégation externe de sciences médico-sociales, je participe à des formations et publications du secteur médico-social depuis 10 ans (dans un premier temps dans l’enseignement secondaire, puis en section de technicien supérieur). Actuellement enseignant en Université, mes sujets de prédilections sont principalement ceux qui concernent les dynamiques et stratégies d’accompagnement des personnes âgées et en situation de handicap en France et dans le monde. Que ce soit au niveau macro (économie de la santé, gouvernance des politiques publiques) qu’au niveau sociologique, historique, et des pratiques professionnelles (méthodes d’analyse des attentes et besoins, techniques d’accompagnement et méthodologie de projet appliquée à différentes formes d’innovations).
Actuellement professeur agrégé, j’ai comme responsabilité la formation d’étudiants en BUT Carrières sociales, mention CGE3S (Coordination et gestion des établissements et services sanitaires et sociaux). L’objectif étant de professionnaliser ces étudiants dans le secteur médico-social et de la santé, ou de les préparer à des poursuites d’études en Master (sur des masters professionnels de gestion de structures avec hébergement). Membre de la Chaire UNESCO EducationS et Santé, je participe depuis 3 ans à différents projets de développement de stratégies de promotion de santé. J’accompagne différents professionnels de santé sénégalais dans le cadre de la Licence professionnelle EPROS. Auteur pour l’éditeur Foucher, je participe également depuis 8 ans à la création et l’édition de contenus de vulgarisation et de formation concernant les acteurs de la protection sociale et les politiques sociales et de santé. Je consacre également une part importante de mon temps restant à différentes missions pédagogiques : jurys d’examen, jury de CAPET, jury de l’agrégation externe de sciences médico-sociales.
Pourquoi avoir accepté de rejoindre le Conseil de Direction de l’ITEV ?
B. G. : Les travaux et réflexions menés par l’ITEV sont particulièrement intéressants. Ils s’inscrivent dans une vision transversale de l’approche du vieillissement, et donc s’ancrent véritablement dans une approche globale, au sens des différents déterminants de santé. Initialement issu d’un double cursus (en « sciences dures » et « sciences molles ») je ne conçois pas l’approche sur les questions de vieillissement uniquement selon le spectre médical et gériatrique, ou uniquement sociologique. Force est de constater qu’aujourd’hui, le discours redondant sur « nos ainés » et l’approche catégorielle des politiques du vieillissement portent le stigmate de la « fragilité » sur toute une classe d’âge, et à travers principalement le spectre médical de la dépendance. Au-delà de ces approches, le secteur médico-social reste par ailleurs particulièrement cloisonné. Il est donc urgent de sortir de ces logiques, et d’innover sur différents territoires, en proposant de nouvelles approches, réflexions et échanges sur le vieillissement tels que proposés par l’ITEV. Ce sont ces 3 axes (approches nouvelles du vieillissement, réflexions transversales et pluridisciplinaires, et échanges entre milieu académique et professionnel) qui m’ont motivé à rejoindre cet institut !
Qu’attendez-vous de ce mandat ?
B. G. : La question est vaste, mais j’arrive à dégager 3 attentes :
- Participer au décloisonnement des formations et typologies d’accompagnement dans le secteur gérontologique, en proposant des modèles de formation intégrés, qui participent à motiver et valoriser l’action auprès des personnes âgées, mais également à structurer des nouvelles approches pédagogiques hybrides : avec un fort ancrage auprès de structures de terrains d’aide à domicile.
- Participer au renforcement de stratégies de promotion de santé tout au long de la vie, et également aux âges avancés, dans une démarche de santé communautaire et participative.
- Agir sur les stratégies d’accompagnement des personnes, pourquoi pas en participant activement à des réflexions sur la mise en place de plateformes gérontologiques et d’outil innovants d’analyse des attentes et besoins des personnes.
Quelles sont pour vous les priorités pour améliorer le bien vieillir en France ?
B. G. : La question du bien-vieillir en France fait écho au maintien en santé des bien portants, et donc à la recherche des causes de la « maladie », de l’altération de la santé. On confond bien trop souvent encore transition démographique et épidémiologique. C’est pourtant bien la seconde transition sur laquelle il est possible d’agir (agir sur la première reviendrait à considérer le vieillissement comme un problème social et collectif…).
L’émergence grandissante des pathologies chroniques et d’un ensemble de pathologies évitables (bien souvent regroupées en ALD) n’est pas une malédiction impossible à lever. Les retards en santé publique, dans un système de santé français particulièrement hospitalo-centré se payent quotidiennement : fréquence de certains cancers et pathologies neurocardio-vasculaires élevée, avec un gradient social de santé marqué, développement de conséquences qui altèrent l’autonomie des personnes et leur entourage dans leur quotidien, et spécifiquement en effet des personnes les plus âgées. Cette carence de santé publique entraine par ailleurs des inégalités sociales de santé fortes : un écart d’espérance de vie en bonne santé se creuse de manière significative entre cadres et personnes peu qualifiées, ce gradient social de santé est clairement illustré aussi dans les situations de perte d’autonomie lors de l’avancée en âge.
En synthèse, les priorités pour une « stratégie du bien-vieillir » reposeraient principalement sur :
- Le développement d’actions de santé publique à tous les âges, avec un renforcement des dispositifs de santé communautaire au moment des grandes transitions biographiques, dont la pré-retraite. Ce développement ne saurait reposer sur un « nouveau plan de santé publique », mais bien sur l’investissement des différents acteurs de la protection sociale : les personnes elles-mêmes et les groupes sociaux, le milieu éducatif et de travail, les collectivités territoriales, les caisses de protection sociale, dont le volet complémentaire. On est donc ici bien à l’opposé des approches actuelles, dont de recours aux « Nudges » pendant la crise COVID, en proposant au contraire aux personnes de s’impliquer largement dans la conception et la participation de ces actions de santé.
- Construire une approche populationnelle des besoins de santé, et donc l’arrêt d’un pilotage du système de santé par l’offre. En proposant donc une nouvelle manière de « mesurer l’état de santé » de la population, qui se résume malheureusement aujourd’hui à « compter les malades ». Cette nouvelle stratégie d’analyse de l’état de santé reposerait bien entendu sur un ensemble de déterminants de santé, dont comportementaux et sociaux, ce qui aurait l’avantage de prouver quotidiennement que « la santé » n’est pas que l’absence de maladie….
Comment l’ITEV peut-il être acteur de ce changement ?
B. G. : A travers son approche intégrée, l’ITEV sera acteur d’un changement de regard sur les formes de vulnérabilité liées à l’avancée en âge et sur les réponses à y apporter.
Par son positionnement au regard de « la santé » l’ITEV participe de fait à une « démédicalisation » du secteur gérontologique, donnant une importance marquée à de nouvelles approches, dont celles liées à l’accompagnement social de proximité à domicile et à sa valorisation professionnelle.
Les différentes réflexions et actions sur l’accompagnement à domicile et en établissement et sur la valorisation des métiers et compétences menées par l’ITEV croisent par ailleurs les approches en promotion et éducation à la santé, et également à la participation citoyenne. Accompagner les personnes dans leur milieu de vie, adapter les accompagnements à différentes caractéristiques socio-spatiales, participe à développer en local des actions de santé communautaires pour le bien vieillir adaptées aux besoins et attentes des personnes.
Le positionnement transversal de l’ITEV doit amener à faire converger encore davantage des approches médicales, sociales, éducatives/managériales et architecturales pour repenser l’accompagnement de certaines personnes, et éviter ainsi que les principales sources d’innovations du secteur médico-social n’en soient pas vraiment : à travers par exemple la gadgétisation de dispositifs proposés par le secteur de la SilverEco comme « l’EHPAD du futur ». De nombreuses innovations sont possibles pour le bien-vieillir, mais elles nécessitent pour être pertinentes le temps d’une recherche de terrain transversale et multidisciplinaire, de questionnement et de levée de doute, de participation des personnes concernés et de leur rencontre, et l’absence de conflits d’intérêts.