Le docteur Jacques Desplan est Président-fondateur du Groupe Fontalvie, réseau de cliniques spécialisées dans les thérapies non médicamenteuses. Médecin-pneumologue et membre du conseil de direction de l’ITEV, il observe la crise sanitaire actuelle au prisme des politiques publiques mises en place pour lutter contre la tuberculose au début du XXe siècle.
La tuberculose
Jusqu’à l’âge de 12 ans, j’ai vécu en Algérie. Une ou deux fois par an, nous avions la visite du médecin scolaire. Nous étions tous soumis à un examen clinique sérieux, une scopie thoracique systématique, un contrôle des vaccinations et en particulier une cuti-réaction à la tuberculine. Sans être vacciné au BCG*, il était impossible d’aller à l’école. Les allocations familiales étaient systématiquement supprimées.
Lorsque mes parents allaient consulter notre médecin de famille, celui-ci était très attentif aux vaccinations et à la prévention.
En 1980, je me suis présenté à l’examen national de pneumo-phtisiologie rebaptisée plus tard pneumologie. 50 % de l’écrit portait sur la tuberculose. La tuberculose, affection contagieuse, représentait un véritable fléau en France comme partout ailleurs dans le monde. Les questions posées portaient essentiellement sur la prévention et la santé publique.
Au début du 20ième siècle, aucun traitement n’existait. La loi Bourgeois du 15 avril 1916, complétée par la loi Honnorat en 1919, ont organisé le système de prévention en France. Chaque ville a ainsi créé des dispensaires d’hygiène sociale. 20 000 lits de préventorium et 43 300 lits de sanatorium furent créés. Les soins y étaient gratuits. La stratégie de lutte contre la tuberculose fut basée sur une prévention à laquelle tout médecin était dans l’obligation de contribuer. Les dispensaires coordonnaient les actions. Ces dispensaires étaient équipés d’un appareil de radiologie et de microscopes permettant de rechercher les bacilles de Koch. Lorsque la cuti-réaction était négative, la personne était vaccinée par le BCG (vaccin Bilié de Calmette et Guerin). Le BCG était obligatoire pour les élèves comme pour les professionnels. Tous les médecins devaient déclarer les malades infectés, ce qui amenait les services de l’État à procéder à une enquête dans leur milieu de vie. Les malades contaminés qui ne présentaient pas de signe clinique étaient envoyés en préventorium, les tuberculeux étaient hospitalisés dans les sanatoriums ou équivalents hospitaliers.
Le principe des sanatoriums reposait sur le traitement climatique grâce à une cure d’air, de lumière, de soleil et d’activité physique. Les patients tuberculeux contagieux étaient isolés. Ainsi, ce fléau national a été vaincu par une démarche volontariste et une organisation médico-sociale sans faille à une époque où aucun traitement pharmaceutique efficace n’existait. Lorsqu’en 1964, la Rifampicine permettant de guérir un malade de sa tuberculose est arrivée, la bataille avait déjà été gagnée.
La réponse française à la Covid-19 un siècle plus tard
En janvier 2020, l’OMS signale l’apparition à Wuhan en Chine d’un nouveau virus de la famille des coronavirus, susceptible de générer une épidémie de grande ampleur. Des virologues français spécialistes de cette famille de virus, surtout responsables des rhumes saisonniers, paraissent rassurants. Le terme « grippette » se répand dans la presse… Or, ce mot grippe évoque chez le pneumologue que je suis une maladie qui tue même si la vaccination annuelle en limite les effets. A la faculté, nos maîtres nous ont rappelé les millions de morts dus à la « grippe espagnole » de 1918, puis à la « grippe asiatique » de 1956.
En mars, le Président de la République française déclare la guerre à un nouvel ennemi invisible : la Covid-19. Dérogeant aux pratiques habituelles, il s’entoure d’un conseil scientifique, qui n’est rien d’autre qu’un conseil de guerre. Il fait appel à 14 personnalités de grande notoriété, membres pour beaucoup des Académies des Sciences ou de Médecine. Seuls un généraliste, deux infectiologues, un réanimateur et le Professeur Didier Raoult étaient des cliniciens. La pneumologie n’y était pas représentée, une erreur majeure à mes yeux.
Dès l’origine, l’hôpital public avec le centre 15, les services d’infectiologie et la réanimation sont mis en avant. Pendant cette période, les cabinets des généralistes, des pneumologues et bien d’autres spécialités sont restés en sommeil. Les services cliniques publics et privés, hors Covid-19, ont, eux aussi, été mis au ralenti. Les soins courants, et aussi les maladies graves ont été délaissés entrainant de graves conséquences pour les patients. Les appels des généralistes, des psychiatres, des cardiologues, les décès des professionnels de santé n’y ont rien fait.
A la stratégie du masque, de la distanciation sociale, du lavage des mains, du dépistage et de la traçabilité conduisant les patients contaminés à être isolés en quatorzaine, la France a préféré le confinement général. D’autres pays n’ont pas suivi cette voie. Les conséquences sociales, éducatives, sanitaires et économiques sont dramatiques… Comment nos élites n’ont pas appris de notre propre histoire ?
Les raisons d’un échec
Les personnalités très respectables du conseil scientifique national ont semble-t-il été dépassées. Ces super-experts sont apparus imperméables aux réalités complexes de notre monde. Le circuit, biologistes, virologues, infectiologues et réanimateurs, mathématiciens, a mis hors-jeu le système médical traditionnel et la clinique. La ventilation non invasive n’a pas été utilisée.
Pourquoi le choix a t’il été de systématiquement recourir à des ventilations lourdes, prolongées, avec sédation, dont les spécialistes connaissent les échecs, les séquelles neurologiques et psychologiques ? Les systèmes de ventilation à domicile très bien maitrisés aujourd’hui auraient participé à désencombrer les hôpitaux.
Durant le confinement, l’autorisation de la pratique des activités physiques, a ouvert une autre approche de la santé mais cette démarche pourtant positive est restée partielle. Face à une maladie infectieuse, le meilleur rempart est notre immunité. Celle-ci se construit avec la nutrition, la micro-nutrition, le sommeil, la sociabilisation…, en un mot, avec notre Mode de Vie. Tant d’études montrent les bénéfices d’un mode de vie sain, à l’échelle individuelle et collective. Mais notre médecine pense différemment : médicament, même si, dans le cas particulier de la Covid-19, il n’existe pas (encore) mais dans lequel nous fondons tous nos espoirs ! Hospitalo-centrisme, même si plus de 30% des français vivent avec une maladie chronique qui nécessite une médecine de proximité et d’accompagnement.
Pire, le confinement, la distanciation et l’isolement ont créé des effets très négatifs. Aucune civilisation n’a enterré ses morts sans cérémonie ! A plus de 80 ans, être privé de ses proches, être isolé dans sa chambre, est la pire des sanctions que l’on pouvait imposer à nos aînés. L’approche bio-technicienne nous a fait oublier que la mort fait intégralement partie de la vie.
Parlons franc, être porteur d’une maladie neuroévoloutive, être mis autoritairement à l’isolement, pour se protéger de la Covid-19, est humainement insupportable. Les droits des aînés dans ces conditions n’avaient sans doute rien à envier à ceux des prisonniers.
Parallèlement, au nom du respect des libertés individuelles, peu de soignants et peu de résidents sont vaccinés contre la grippe qui continue de tuer les plus fragiles chaque année. Autrefois, sans BCG, aucun soignant ne pouvait être embauché… La liberté individuelle, a-t-elle le droit d’aller au-delà de l’intérêt général, alors même qu’existe un consensus scientifique sur cette vaccination ?
Pour une nouvelle gestion de la Covid-19
Aujourd’hui, nous avons inversé la politique face à la Covid-19 : nous avons promu le masque, le lavage des mains, la distanciation sociale, l’isolement sélectif…. Nous avons remis en selle les cabinets médicaux. Le confinement général a lourdement impacté notre économie, nos échanges sociaux, notre solidarité et notre espoir d’un monde meilleur pour nos enfants. Nous avons oublié les leçons de nos anciens qui nous avaient permis jadis de vaincre la tuberculose.
La Covid-19 continue, et continuera… Préparerons-nous les prochaines pandémies ?
Comment allons-nous convaincre les anti-masques, les anti-vaccins, les accros aux traitements farfelus qui ne cessent de se développer devant les excès d’une médecine axée « tout médicament », technicienne, tournée vers la robotique et l’intelligence artificielle, d’une bureaucratie détournant le médecin de son véritable art de la relation, d’une pression économique annihilant tout bon sens et de plans/stratégies/ aussi beaux sur le papier que dénués de démarche volontariste et concrète face aux lobbys industriels ?
Changer de paradigme
Si la médecine curative (cure) a connu tant de succès au siècle dernier et a permis de penser que toutes les maladies seraient guérissables, force est de constater que ce nouveau siècle nous confronte à la complexité des maladies chroniques. Une nouvelle donne qui impose de penser une approche globale et des solutions multiples. La médecine de santé (care) dont le but est d’accompagner une personne, reste embryonnaire alors que l’épigénétique, les neurosciences et l’immunologie montrent à quel point d’autres solutions existent.
En 2020, l’épigénétique prouve que chacun d’entre nous est en grande partie acteur de sa propre santé et de celle de sa descendance, ce qui devrait nous conduire à une politique de responsabilisation. La médecine de santé accompagne une personne dans son parcours de vie. Elle devient un actient (empowerment).
Tirons les leçons d’aujourd’hui pour demain
Le monde de demain est un enjeu autrement plus important que la pandémie que nous vivons actuellement. Les leçons de la tuberculose ont été oubliées. Arrêtons de croire aux sirènes du tout robotique, du tout thérapie génique, du transhumanisme, qui concentrent tous les investissements privés et publics.
Nous sommes dans l’obligation de partager une éthique qui vise à respecter les règles de la nature, tout autant que de respecter toutes les vies humaines. Cette pandémie survient, non sans relation, avec le réchauffement climatique, le déclin de la biodiversité et la surpopulation.
L’individualisme, le manque de lucidité, l’ingénierie à tout crin, le dogmatisme, l’absence de vision sont des signaux suffisamment forts pour nous faire réagir. Il est de notre devoir de susciter les énergies individuelles pour créer les humanités apaisées de demain. Le temps presse !