Zoé Cuzin est acrobate, trapéziste et enseignante de cirque. Elle a fondé en 2011 la Bande d’Arrêt d’Urgence, une association spécialisée dans la médiation artistique via les arts du cirque pour publics âgées ou handicapés. Forte de 10 ans d’expérience en contact direct avec les services animation d’EHPAD dans toute la France, elle revient pour nous sur les impératifs de cet aspect trop souvent négligé de la vie en institution.
Pouvez-vous nous présenter votre métier ?
Mon parcours est assez atypique. A l’origine artiste de cirque, j’ai décidé il y a plusieurs années de poursuivre, ailleurs, l’un des travail les plus importants pour moi au cirque: réaliser l’impossible.
Aujourd’hui, je suis intervenante en animation en Ehpad, et depuis peu, accompagnatrice en projet d’animation pour et par les personnes âgées elles-mêmes. Je travaille avec des personnes âgées, avec qui nous réalisons des impossibles qui se jouent sur d’autres plans que l’exploit physique. Nous repoussons des limites psychologiques (et parfois physiologiques) par lesquelles les personnes croient être limitées dans la réalisation de leurs projets de vie (et d’occupation). Les activités que je mets en place en Ehpad sont très variées et s’appuient toujours sur mon expérience artistique (créations de spectacle, ateliers d’écriture, activités en famille ou intergénérationnelles, ateliers en chambre ou à distance, etc).
Comment est organisée l’animation aujourd’hui dans les EHPAD et quelles en sont les limites ?
J’ai pu observer différentes organisations à l’œuvre: la plupart du temps, un responsable d’animation chapeaute les activités et leur organisation, et est parfois aidé par un ou plusieurs animateurs. Parfois aussi, l’animation est déléguée à plusieurs personnes, sur des moments ou des missions différentes. De plus en plus, un nouveau système apparaît, qui considère que l’animation est l’affaire de tous, et chaque membre du personnel a des heures affectées à des missions ou des activités d’organisation.
Ce qui est cependant notable dans la plupart des établissements (il y a bien entendu des exceptions), c’est un manque évident de personnes affectées à l’animation. Qui plus est, ces personnes sont souvent peu ou mal formées, et les formations elles-mêmes ne sont adaptées qu’a une partie des problématiques que recouvre la question de l’animation en Ehpad. Cela a pour conséquence des activités trop souvent globalisantes, en groupes impersonnels. Parfois même, elles sont peu adaptées et infantilisantes. Elles ne prennent pas (ou peu) en considération les occupations qu’avaient les personnes avant d’intégrer l’établissement, ce qui accentue encore l’effet de rupture: la vie d’avant et la vie après l’entrée dans un établissement. Les activités sont souvent occupationnelles et considèrent peu le bien-être et l’implication de la personne dans son espace de vie. Elles nécessitent souvent une participation passive et une implication sporadique, voire consommatrice. Elles permettent rarement une ouverture vers l’extérieur et incluent rarement les familles ou des personnes extérieures à la structure (parfois c’est la nature ou la qualité des activités proposées qui n’encouragent pas les familles à venir participer). En clair, dans grand nombre d’établissements, les secteurs animation ne concourent pas à faire de ces lieux des espaces de vie.
Existe-t-il des parcours de formation préparant spécifiquement à l’animation au contact d’un public âgé ?
Il existe une certaine offre en matière de formation à l’animation auprès de personnes âgées. Il s’agit de formations apportant des outils et des idées d’activités aux futurs animateurs. A ma connaissance, ces formations sont généralement assez courtes.
La plupart du temps, elles prennent en compte les particularités du vieillissement et du grand âge, mais un peu moins fréquemment celle de la vie en Ehpad. De plus, il me semble que la personne âgée, dans sa prise d’initiatives et son appropriation de son espace de vie, n’est que rarement prise en compte. Il s’agit donc essentiellement, dans le cadre de ces formations, d’apprendre comment et quoi proposer aux personnes âgées. Cependant, notons que ces formations constituent toutefois une alternative à la formation d’usage, qui englobe d’un même trait le travail avec les nourrissons et les personnes âgées, ce qui constitue je pense un non sens absolu.
Que préconisez-vous pour replacer le projet de vie de la personne au centre de la démarche d’animation ?
Selon moi, il faut envisager une mutation profonde de la conception de l’animation et de l’animateur en Ehpad. L’animation doit cesser d’être considérée comme un outil occupationnel et ludique uniquement (car cette conception est limitante), mais comme un moyen de revalorisation de la personne pour lui permettre, avec ses capacités propres, de prendre elle-même en main une démarche d’animation, pour elle-même et / ou pour d’autres.
Tout investissement de la personne nécessite qu’elle y trouve un but, un sens, qu’elle puisse s’approprier une partie de la proposition faite par l’animateur. Pour cela, l’animation doit réveiller les envies de la personne et sa confiance en ses capacités d’action. Par ailleurs, il faut envisager l’animation dans un sens plus large: au-delà des lotos, ateliers créatifs, quizz, il faut penser l’espace de vie de la personne et l’organisation de son quotidien. Le bien-être dans son ensemble.
Tant que l’animateur sera au centre de la démarche d’animation, le projet de vie des résidents ne pourra pas y être. Cela est risqué et nécessite une profonde mutation des mécanismes à l’œuvre, mais cela ouvre également la porte à des possibilités aussi riches que variées. L’objectif premier, et à mon sens incontournable, est déjà, dans un premier temps, de songer à construire ensemble les projets d’animation, avec les résidents. Pour ce faire, il ne faut pas oublier que l’une des spécificités de l’animation en Ehpad est de devoir englober un ensemble de domaines d’activités, notamment celles qui composaient le quotidien des personnes avant leur entrée en Ehpad). En ce sens, l’animateur doit sortir de sa zone de confort et de connaissances, en permanence, et se renouvelle grâce à cela. Son travail doit être en évolution constante.
Comment votre projet « Âgir : en piste » peut-il constituer un élément de réponse à ce changement de paradigme ?
Agir en piste est un projet regroupant deux pôles: un pôle de recherche (qui collecte des informations de terrain et les exploite pour tenter d’isoler des problématiques et des solutions), et un pôle d’actions, d’activités.
Dès l’origine, nos activités nous ont permis d’observer sur le terrain les aspects positifs et négatifs des activités d’animation généralement menées. Par ailleurs, la particularité du travail artistique que nous menons demande de réveiller l’implication et l’esprit critique des participants, car le projet naît de leurs propositions artistiques. C’est ainsi que petit à petit, nous nous sommes aperçu que, lorsque la personne âgée est au centre du processus, les retombées sur elle (et par conséquent sur le projet) sont surprenantes.
Dernièrement, nous avons développé un «accompagnement de projets d’animation en Ehpad ». Ce n’est ni une action d’animation, ni une formation au métier d’animateur. La participation est ouverte aux résidents en Ehpad, au personnel, mais aussi à toute personne désireuse de mener un projet incluant les personnes âgées (familles, amis, enfants, étudiants, etc).
Le projet repose avant tout sur un dialogue avec les personnes pour les aider à définir des envies, des besoins, ou simplement à isoler des problématiques de vie ou d’occupation. Leur présence est donc active dès le départ. Puis, il s’agit d’apporter une expertise de faisabilité et des outils méthodologiques, ainsi qu’un accompagnement dans la réalisation de projets que nous mettons en place ensemble.
Cette nouvelle méthode est le support d’une revalorisation de la personne qui passe par un réinvestissement de ses activités (professionnelles ou de loisirs) d’avant. Le fait que l’essentiel des activités soient partagées en groupe permet aussi à certains de découvrir de nouvelles activités, adaptées, non infantilisantes, et parfois même de se découvrir des talents insoupçonnés. Par la tenue de leur projet, les résidents sont responsabilisés et cette prise de confiance leur permet de revisiter une part de leurs rêves ou de leurs projections dans un avenir proche.
Les activités d’animation sont ainsi créées par ou avec les personnes âgés, pour les personnes âgées. La personne âgée est donc bien au cœur de la démarche d’animation. Ce projet propose une nouvelles conception de l’animation en Ehpad en changeant de chef d’orchestre.
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La Bande d’Arrêt d’Urgence est à l’origine du projet « Âgir : en pistes », une démarche de recherche-action qui vise à acquérir une meilleure connaissance des liens bénéfiques entre vieillissement et pratique artistique. Elle est lauréate du Prix 2021 de la Fondation Mutac sur l’isolement des personnes âgées en France.