Anne Marcilhac, Directrice de l’Institut Transdisciplinaire d’Étude du Vieillissement
Souvenons-nous …
Mars 2020, premier confinement, peu ou pas de masques et de matériel de protection pour les aides à domicile. Et pourtant les services d’aide et de soins à domicile prennent en charge quotidiennement plus 3 millions de personnes âgée. Parmi elles, certaines ne peuvent se passer de ces professionnels-les sans lesquels-les, elles ne peuvent se lever, se laver, manger, se coucher…
Mars 2020, dans les EHPAD, premiers cas suspects, diagnostics Covid confirmés et premiers décès. Les EHPAD sont mis immédiatement « sous cloche » : plus de visites venant de l’extérieur, les résidents malades ou soupçonnés de l’être sont isolés dans leur chambre, l’accompagnement des personnes en fin de vie est bouleversé avec l’impossibilité pour les familles de venir faire leurs adieux à leurs proches. Dans cette ambiance d’urgence générale, le personnel a été mis à rude épreuve : surcharge de travail, attribution de nouvelles tâches, peur de la contamination (par manque de matériel de protection au départ), tensions avec les familles etc…
Un véritable traumatisme qui laissera des traces quand on sait que lors de la sortie du premier confinement, la moitié des morts comptabilisés par Santé publique France concernaient des personnes en maison de retraite et que de nombreuses personnes âgées sont décédées seules à leur domicile.
La France a alors connu quelques semaines de répit avant la « deuxième vague ». Durant cette période, l’urgence a laissé un peu de place à l’analyse. Mais quelles conclusions a-t-on tiré de cette première période ?
- L’isolement est, avec le risque sanitaire, un deuxième risque majeur, en établissement ou à domicile
- Le manque de personnel pour accompagner les personnes âgées fragiles et le peu de reconnaissance de leur métier à la fois dans les EHPAD et au domicile s’est révélé dramatique.
Peut-on parler de surprises tant ces conclusions sont des constatations faites depuis des années qui se sont seulement exacerbées lors de cette crise et nous ont fait prendre conscience de notre retard en la matière ?
Des décisions encourageantes mais incomplètes
Des décisions gouvernementales financières pour répondre à l’urgence ont été prises : hausse des salaire et primes « covid » pour les personnels de santé dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Mais ces primes ne sont pas toujours versées en fonction des départements aux salariés de l’aide à domicile. Et même si une revalorisation salariale de cette catégorie de personnel est prévue en 2021, ces décisions ont encore creusé les inégalités et stigmatisé un peu plus les métiers de l’accompagnement des personnes âgées et vulnérables au domicile. Ces décisions bien que positives et encourageantes pour les professionnels sont « incomplètes ». Ne vont-elles pas se traduire par un effet pervers entrainant un départ des salariées du domicile vers des structures médicales, accentuant ainsi les problèmes de recrutement de ce secteur déjà en tension ?
Fin octobre 2020, au lendemain de l’annonce du 2nd confinement par le président de la République et devant les demandes de renforts en ressources humaines des représentants du secteur du grand âge, le ministre de la santé et la ministre déléguée chargée de l’Autonomie annonce le lancement « d’une campagne de recrutement urgente et massive sur les métiers du grand âge de personnes hors du secteur et qui s’ouvre à tous les demandeurs d’emploi ».
Donner la possibilité d’obtenir des moyens humains en urgence est une initiative qui a sans nul doute trouvé un écho positif auprès de nombreux professionnels épuisés par cette crise sanitaire majeure tant au sein des établissements que dans le secteur de l’aide à domicile.
Dans ce contexte de pandémie, le manque de personnel et la désertification des métiers de l’accompagnement des plus fragiles nous sautent aux yeux. Nous ne devons cependant pas oublier que cette problématique existe depuis bien longtemps et a été largement soulevé par bon nombre de professionnels. Mais pouvons-nous penser qu’augmenter la « quantité » de professionnels dans ce secteur suffira à répondre aux enjeux du secteur ? Pouvons-nous penser que les métiers du grand âge peuvent être des « métiers pour Tous » exercés du jour au lendemain ? Quelle image donne ce genre d’action vis à vis de la considération que l’on a pour nos ainés ?
Pour une revalorisation profonde et rapide des métiers de l’accompagnement des personnes âgées
Est-il vraiment raisonnable de proposer de “capter ces viviers de professionnels (c’est-à-dire ayant perdu leur activité professionnelle à cause de la pandémie) ainsi que tout demandeur d’emploi, y compris les personnes éloignées de l’emploi lorsque cela est possible” ? Et donc de les recruter sur des métiers en tension comme ceux “d’aides-soignants, d’accompagnants éducatifs et sociaux et d’auxiliaires de vie, ainsi que sur des fonctions d’aide à la personne, dans les Ehpad, résidences autonomie et services à domicile” ? (Circulaire interministérielle du 9 octobre 2020 relative à la mise en place d’une campagne de recrutement d’urgence sur les métiers du grand âge)
Ces questions sont d’autant plus légitimes que ce dispositif semble à contre-courant des différentes propositions telles que celles émanant du rapport de Myriam El Khomri sur les métiers du grand âge. En effet de nombreux discours et prises de position insistent sur la nécessité de renforcer l’attractivité de ces métiers en proposant à la fois des parcours de formation et des évolutions de carrière aux professionnels du secteur.
Cette circulaire évoque également « d’autres dispositifs visant plus particulièrement le long terme comme le futur plan destiné à renforcer l’attractivité des métiers du grand âge en mobilisant tous les leviers disponibles ». Long terme, mais combien de temps devrons nous encore attendre pour revaloriser ces métiers et donner la reconnaissance qu’ils méritent à ces professionnels de l’accompagnement des personnes âgées ?
Alors reconnaissons en ce début d’année 2021, encore en plein tourmente mais à l’aube de l’éclaircie que nous devons maintenant agir pour que les personnes avançant en âge aujourd’hui et demain soient accompagnées comme elles le souhaitent, où elles le souhaitent et comme il se doit par des professionnels épanouis, formés et reconnus pour les fonctions qu’ils exercent et les valeurs humaines qu’ils partagent.
Espérons que cette épidémie grave et inédite aura permis de
mettre en lumière le rôle essentiel de tous ceux qui ne sont pas considérés à
la hauteur des missions qu’ils accomplissent.