Gina Devau est neurobiologiste et enseignante-chercheuse. Elle est membre fondatrice de « La Comédie des Neurones », association ayant pour objectif de favoriser la diffusion des avancées dans la recherche en neurosciences via l’organisation d’événements scientifiques destinés au grand public. Elle s’interroge ici sur la pertinence de la théorie de la pyramide des besoins de Abraham maslow dans le contexte sanitaire actuel.
Il y a plusieurs décennies, le psychologue Abraham Maslow a émis une théorie et réalisé une représentation pyramidale des besoins qui affectent l’être humain. Bien que l’organisation verticale de cette pyramide soit remise en cause, elle permet de discuter des besoins fondamentaux des personnes. La crise actuelle de pandémie et de confinements successifs nous questionne sur le positionnement hiérarchique des besoins fondamentaux (la base de la pyramide) par rapport aux besoins psychologiques et affectifs.
Un besoin de contacts humains primordial
Pour protéger de la transmission du virus, les politiques publiques ont voulu isoler les personnes âgées pour les maintenir à distance de l’agent infectieux. En effet, les études épidémiologiques, montrent que 9 personnes sur 10 décédées du COVID ont plus de 65 ans et que les personnes âgées sont plus vulnérables car plus souvent atteintes de différentes pathologies et présentant un système immunitaire moins efficace pour lutter contre les infections, la grippe en hiver ou ce nouveau coronavirus. Elles ont donc été invitées à rester chez elles ou en institution, loin du virus mais aussi loin des autres personnes. La même solitude a touché les personnes hospitalisées. Tout ceci a fortement perturbé les fonctions physiologiques essentielles comme la prise alimentaire, le sommeil et les rythmes biologiques. La privation de contact a même induit ou accéléré des épisodes de dépression. Les plus vulnérables à cet isolement se sont laissé mourir, en langage plus adouci, se sont laissé « glisser ». Le besoin de contacts humains et d’attachement est primordial. Dans ce contexte-là, ce besoin d’affection s’est révélé aussi important que le besoin physiologique puisque son absence tue comme le virus. La confiance en soi, le regard bienveillant et affectueux de l’entourage sont des atouts non négligeables pour combattre la maladie.
De plus, d’autres mesures comme le port du masque obligatoire a modifié notre capacité naturelle à reconnaître une personne familière ou inconnue en déchiffrant les visages ou en identifiant une voix. Or, les personnes âgées sont très sensibles aux changements de personnes aidantes ou soignantes. Leur présence les sécurise. Les changements les inquiètent. Comment reconnaître les personnes masquées quand on ne voit pas très bien ? Comment comprendre ce qu’elles disent, comment dialoguer quand on n’entend pas bien ce qu’elles disent ? Elles ont besoin d’être rassurées surtout quand elles perdent leurs repères spatio-temporels par un contact familier. La présence aide à traverser un temps qui avec le confinement modifie la perception de la durée. Il est devenu interminable dans une solitude qui se prolonge.
Pour une meilleure prise en compte de l’isolement dans les politiques publiques de santé
Tout au long de la vie, l’humain se construit par le toucher, par la lecture des visages qui expriment les émotions et les pensées, par le regard que renvoient les autres par le plaisir d’être ensemble. Garder ses distances, ne plus se toucher, ne plus s’embrasser, porter un masque qui cache la moitié du visage, tout ceci a provoqué une privation d’informations pour notre cerveau. Ces perturbations sensorielles associées à l’isolement ont provoqué de l’anxiété. De plus, l’absence de sorties et d’activité physique a accentué ce phénomène. Or, l’exercice physique aurait pu diminuer cette anxiété en maintenant la mobilité, l’autonomie, l’équilibre et en prévenant les chutes.
Les politiques publiques, prenant en compte différents facteurs comme la toxicité et la dangerosité du virus, la saturation des lits dans les hôpitaux, la vitesse exponentielle de transmission du virus dans la population, la mise en tension des activités sociétales, ont choisi le confinement. Celui-ci a été plus mal vécu chez les personnes isolées et tout particulièrement chez les personnes âgées seules.
Ainsi au nom de la sécurité et en l’absence de médicaments antiviraux spécifiques et de quantité suffisantes de vaccins pour combattre la toxicité de ce coronavirus, de nombreuses personnes ont souffert. Est-ce que cette souffrance aurait pu être évitée ? C’est l’équilibre difficile entre la bientraitance individuelle et la sécurité collective. Comment créer des conditions propices à la résilience ? C’est tout l’enjeu des politiques publiques ! L’isolement des personnes âgées est un facteur qui devra être mieux pris en considération à l’avenir car ce sont les petits plaisirs de la vie quotidienne qui font le sel de la vie.