Retour à la normale ou retour à l’anormal?

Colette Eynard, est consultante en gérontologie sociale. Membre du conseil de direction depuis 2016, elle est l’auteure de plusieurs ouvrages (« Architecture et gérontologie ; peut-on habiter une maison de retraite ? », « Le parcours résidentiel au grand âge »). Elle s’intéresse particulièrement aux questions de l’habitat pour les personnes âgées ainsi que de l’aménagement des institutions spécialisées. Pour nous, elle aborde certains effets positifs de cette crise sur les résidents d’EPHAD.

La crise du Coronavirus a eu et continue d’avoir des aspects tellement anxiogènes que j’ai choisi d’en souligner quelques aspects positifs et porteurs d’espoir qui concernent particulièrement la vie dans les EHPAD.

Quelques exemples

Un EHPAD de 150 places à forte tradition hospitalière comprenant plusieurs bâtiments et jardins. En temps ordinaire, le manque de personnel et les difficultés de déplacement à l’extérieur dues à la fois au mauvais état des sols et à l’état de santé des résidents rendaient les sorties difficiles, même dans les jardins.

Paradoxalement pendant le confinement, il est apparu essentiel que les résidents confinés en chambre puissent être accompagnés dans les jardins, ce qu’ils ont beaucoup apprécié.  Ils ont même pu cueillir des fleurs qu’ils rapportaient dans les chambres.  Ces activités qui apparaissent normales ont été menées malgré un contexte difficile, grâce à la présence d’étudiants en médecine bénévoles, et parce qu’en temps de crise, les priorités changent : sauver les résidents, bien sûr, mais pas au prix de ce qui peut faire le sel de l’existence, en l’occurrence ici le contact avec la nature en compagnie de jeunes bénévoles.

Autre changement : avant le confinement, de nombreux résidents quittaient très peu leur chambre, mais ils gardaient ouverte la porte donnant sur le couloir, souvent désert pourtant. Pendant le confinement, les portes des chambres restaient fermées, redonnant ainsi un usage finalement normal à cet unique espace d’intimité dans l’espace institutionnel des EHPAD. Quand les portes s’ouvraient, c’était bien sûr le signal de l’arrivée d’un professionnel, mais cela pouvait être aussi le moment de s’installer sur le pas de sa porte pour participer avec ses voisins et voisines à un jeu collectif. « Le seuil est le lieu d’ouverture de la limite … Le seuil signale et prépare le franchissement ». Le seuil a donc une importance symbolique non négligeable.

Autre image : celle de cet établissement particulièrement touché par la pandémie avec pour conséquences d’énormes difficultés pour les professionnels à surmonter ces deuils incessants. Or un résident s’étant retrouvé une fois de plus à l’hôpital dans un état critique pendant plusieurs semaines, un nouveau deuil semblait inévitable. A la surprise de tous, ce résident s’est rétabli peu à peu et son retour a été organisé. Pour fêter ce retour inattendu, l’ensemble du personnel a éprouvé le besoin de le marquer symboliquement en faisant une haie d’honneur et en applaudissant à l’entrée de ce résident dans l’établissement, qui devenait alors son domicile.

Un dernier témoignage enfin, concernant la période délicate du déconfinement et le retour progressif des familles auprès de leur parent. Au début, les visites des familles ont été organisées en suivant un protocole minutieux : blouses et masques, vitre de séparation, présence d’un membre du personnel. Peu à peu, ces consignes se sont allégées et la vie est redevenue presque normale … jusqu’à un certain point cependant.

Pour prendre en compte les attentes réelles des personnes résidant en EHPAD

En effet, les esprits ont été marqués par la peur et le sont encore. Peurs rétrospectives, qui se traduisent par des remerciements aux professionnels, “vous nous avez bien protégés” et aussi par des questions sur la suite, “j’ai peur que ma famille ne fasse pas ce qu’il faut quand elle viendra me voir, je ne sais pas si j’oserais leur en parler s’ils sont négligents”.

Dans le même ordre d’idées, certains résidents n’ont plus envie de prendre leur repas avec les autres et souhaitent le prendre dans leur chambre. Ces exemples et témoignages n’ont pas de valeur statistique, mais ils peuvent néanmoins nous faire réfléchir sur les attentes réelles des personnes résidant en EHPAD.

On leur a toujours dit qu’ils seraient en sécurité en vivant en EHPAD et finalement ils nous prennent au mot, avec une différence néanmoins : pendant le confinement et même ensuite, la sécurité s’est souvent résumée à la protection spatiale et aux actes dits essentiels : manger, dormir, être soigné, alors que ce qui a été apprécié des résidents de certains établissements, c’est ce qui pourrait être considéré comme secondaire : les relations avec les proches, profiter de la nature, avoir un minimum de vie sociale. L’enjeu maintenant, c’est bien que ce besoin de protection ne se traduise pas par la peur de ce qui vient de l’extérieur et même de la famille et des amis. Désormais, et quel que soit les circonstances, ces éléments doivent impérativement faire partie de l’accompagnement des personnes qui vivent dans un établissement : le « superflu » est souvent essentiel.